  
Le premier Noël de Po-Paï
En ce 24
décembre 99, nous faisons traditionnellement le trajet de Nice
à Crest-Voland en Savoie. C’est dans ce petit village pimpant
comme une aquarelle, frais comme un dessin d’enfant et joyeux
comme une carte postale que les parents de Catherine possèdent
un chalet suffisamment spacieux pour accueillir toute leur
grande famille. Cette année, le clan des Gautier comporte un
membre de plus : Po-Paï le chow-chow.
Noël a
été inventé par les hommes pour faire plaisir aux enfants. La
preuve, c’est que, dans les familles où il n’y a pas
d’enfants, il ne reste plus qu’un pôle d’attraction : les
plaisirs de la table. Je n’ai jamais aimé Noël sans trop
savoir pourquoi. J’ai depuis longtemps renoncé à consulter un
psy en me disant que je suis peut-être allergique aux poils de
barbe du Père Noël, ou aux aiguilles de sapin de Noël… ou
encore aux cadeaux que je voudrais faire et que je ne puis… ou
encore aux couches culottes du Petit Jésus… ou encore au
superficiel fastueux manquant d’humilité authentique… ou
encore… oh ! et puis zut !
Cette
année, ce n’est pas pareil, il y a un petit bébé avec nous :
Po-Paï. Il a très bien supporté ce trajet de 600km avec arrêts
fréquents. Notre chow-chow s’est tenu remarquablement calme
dans la voiture. Rien à dire de particulier concernant ce
parcours. Il vaut mieux, d’ailleurs, qu’il n’y ait aucune
anecdote marquante concernant un tel déplacement car il
signifierait presque toujours « ennui ». J’ai toujours fait en
sorte de ne pas figurer dans les statistiques fâcheuses de la
circulation routière et ne m’en porte pas plus mal. D’une
façon générale, vous verrez que cette historiette consacrée au
premier Noël de Po-Paï ne fait rien ressortir de fabuleux, de
merveilleux ou de sublime comme le voudrait l’opinion
générale. En somme, j’écris pour annoncer que je n’ai rien à
raconter d’extraordinaire. Un jour, j’essaierai de faire la
même chose avec l’argent : le récolter en me disant que je
n’ai rien à dépenser.
Ne m’en
veuillez pas, Noël m’a toujours fait cogiter plus que
d’habitude.
Premier
contact avec la neige : concluant ! Po-Paï retrouve des
sensations ancestrales. La montagne enneigée fait partie de
son environnement depuis des siècles et des siècles. Il est
chez lui bien plus que sur notre Côte d’Azur surchauffée. Il
se roule avec délectation dans la neige et sa fourrure semble
avoir été spécialement conçue pour cette fonctionnalité :
braver le froid. Ses grosses et courtes pattes s’enfoncent
dans la poudreuse de laquelle il s’extirpe avec beaucoup de
difficulté. En le regardant, je me suis dit que je vais
peut-être commencer à aimer Noël.
Foie
gras, boudin blanc, dinde farcie aux marrons : je grignote un
peu de tout pour respecter l’ambiance et me plante devant la
télé en tâchant de m’intéresser à une version filmée de
« Robin des Bois » inintéressante au possible. Eviter surtout
tous les programmes de festivités vous rappelant que nous
sommes Soir de Réveillon, que nous vivons un jour merveilleux
et qu’il faut absolument être vu en train de rire et de boire
pour avoir l’air heureux.
Pas
question d’aller aussi à cette messe de minuit où ils se
compriment tous comme des sardines en boîte dans une petite
église exiguë où l’on ne voit jamais le curé officier.
Résultat : à 22h je monte me coucher.
Po-Paï
n’arrive pas à monter l’escalier accédant à la chambre à
coucher. Les marches sont trop étroites et elles sont à
claire-voie. Pour ce soir, je n’ai pas envie de le laisser
seul en bas. Je saisis à bras-le-corps les trente kilos et
plus de mon chow-chow préféré et je le hisse péniblement en
tâchant de ne pas me casser la figure.
Catherine nous rejoint un quart d’heure plus tard.
Nous
nous allongeons tous les deux sur le lit. Dans cette chambre,
il n’y a ni télé, ni transistor. Quoi de plus naturel donc,
que de s’allonger sur le lit ? Po-Paï lui, l’est sur la
moquette, par terre.
- Viens !
Ordre bref, réaction
spontanée. Je ne sais pas ce qui m’a pris de lui dire :
« Viens ! »
Il y a juste assez
de place sur le lit entre Catherine et moi pour Po-Paï. Notre
chow-chow nous regarde un peu surpris et pose ses deux pattes
de devant sur le lit. Je le tire par la queue pour qu’il
s’installe confortablement au milieu de nous deux.
- Il ne faudra pas
le dire à Chantal.
Réflexion de
Catherine La Scrupuleuse. Non, Catherine, nous ne dirons rien
à ta Maman. Elle n’aime pas voir les chiens sur le lit, et toi
non plus, d’ailleurs. C’est bien la première fois que Po-Paï
monte sur le lit. A soirée exceptionnelle, situation
exceptionnelle, ne crois-tu pas ? Nous ne raconterons rien à
Chantal, c’est promis ! Et je m’arrangerai également pour
qu’elle ne lise jamais cette historiette, même si ce livre
doit connaître un jour un retentissant succès commercial.
Il est 22h30. Pour
mon réveillon de Noël, j’ai mangé léger, bu aucun alcool et me
trouve au lit plus tôt que d’habitude. Je n’ai rien à lire
d’intéressant, n’ai pas envie d’écrire ce soir et m’endormirai
profondément dans quelques instants probablement. Il y en a
qui s’en font toute une histoire de cette veillée de Noël et
moi, on dirait que je fais exprès de banaliser cette soirée un
maximum.
C’est faux.
Le merveilleux est
là, devant moi. Pendant quelques secondes, durant quelques
précieuses minutes, j’ai vu défiler tous les symboles que la
Terre entière cherche à nous transmettre depuis deux
millénaires.
Appuyé sur le coude
gauche (vous verrez pourquoi cette précision) et
allongé confortablement, j’admire Po-Paï, debout sur la couche
conjugale. Je jette un regard tendre à Catherine couchée sur
l’autre bord du lit. Je glisse la tête entre les pattes de
Po-Paï pour embrasser délicatement la souriante Catherine sur
les lèvres. Je tends le bras droit et enlace l’énorme crinière
soyeuse de ce chow-chow renégat, normalement interdit de
séjour sur le lit. Je plonge avec délice ma tête dans ses
longs poils et dépose un baiser affectueux sur son museau. Il
s’allonge alors confortablement entre nous deux et pousse un
gros soupir de satisfaction.
Nous restons tous
les trois, silencieux. Aucun bruit dans le chalet. Dehors, il
fait froid ; dans cette chambre, règne une chaleur agréable.
Je souris.
Je souris, car au
travers de volets entre baillés, je cherche l’Etoile. Celle
qui a guidé les trois rois mages.
Voilà l’image
paisible que je garderai de ce Noël 99 : celle d’une crèche.
Po-Paï est l’Enfant Jésus ; Catherine, la Vierge Marie ; et
moi, le Père Joseph. Il y a 1999 années, le sentiment
d’émerveillement a dû être le même que celui que je ressens en
ce moment dans ce chalet en bois, perdu au milieu des
montagnes. Nous constituons à nous trois une jolie crèche de
Noël et bien des artistes peintres ne manqueraient pas
d’immortaliser ce moment s’ils nous voyaient ainsi, en ce soir
anniversaire de la naissance du Christ.
Je me sens envahi
d’un immense bonheur. Je le reçois ou je le donne ? Je me
poserai la question plus tard.
Pour l’instant, la
seule question que je me pose est la suivante : La Vierge
Marie, était-elle à droite ou à gauche du Divin
Enfant ?
Catherine est à
droite, par rapport à Po-Paï. Donc, aucune contestation
possible, la Vierge Marie doit toujours se trouver dans cette
position lorsque vous placerez vos santons les prochaines
années.


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