  
A chaque
fois que nous nous mettons à table, Po-Paï quémande. Ses
jappements aigus et coléreux ne laissent aucun doute sur ses
intentions : « Donnez-moi quelque chose ! ». C’est de ma
faute : il a suffit que je lui refile discrètement quelques
gâteries pour que Sa Seigneurie Chow-Chow systématise la
situation.
Pour ne
pas trop nous faire envahir, Catherine et moi avons chacun
deux méthodes bien distinctes. Pour Catherine, on l’a vu, la
technique de la poêle est toujours d’actualité. A la longue,
cette stratégie devra être abandonnée car il me semble que
cette menace ne fait plus à Po-Paï ni chaud ni froid. On a vu
pourtant au départ que « chaud », il a bien failli avoir.
J’ai un
moyen beaucoup plus efficace de le dissuader de ne plus nous
importuner à table. La semaine dernière, nous avons acheté un
insecticide aérosol qui élimine tiques et puces. Ce récipient
sous pression agit à titre préventif et curatif. Quand j’ai
voulu faire la première application de ce produit, je me suis
tout de suite aperçu que les petits « pschitt ! pschitt ! »
incommodaient fortement notre chow-chow intolérant. A mon
avis, c’est davantage le bruit du gaz sous pression que
l’odeur qui énerve notre énergumène. L’odeur reste acceptable
puisqu’elle est légèrement parfumée au pin. Pour Po-Paï, cette
vaporisation signifie « sanction ». Les deux ou trois fois où
j’ai fait une application sur ses poils, j’ai dû le tenir de
force avec le harnais.
Il
suffit que je lui montre la bombe de pulvérisation et il file,
queue basse, se réfugier dans un coin. Cette méthode remplace
toutes les engueulades du monde et elle nous permet de manger
tranquillement à table. Sans vouloir faire d’humour déplacé,
j’ai quand même précisé à Catherine : « Il n’y a que les
bombes pour faire entendre raison à certains ».
Ce soir,
nous dînons chez Chantal et Michel, les parents de Catherine.
Ils ont un appartement sur la Côte d’Azur situé à une centaine
de mètres du nôtre. Au cours du repas, Po-Paï nous refait le
même scénario : jappements et coups de patte pour réclamer une
part de pitance, bien qu’il ait déjà eu sa ration de
croquettes. Après plusieurs vaines tentatives de la part de
Catherine pour le faire rester tranquille, je décide de
prendre les choses en main. Je vais aux WC et saisis la bombe
désodorisante.
Avec
surprise, Chantal et Michel me regardent poser le flacon sur
la table. Nous leur expliquons : ils sont rassurés. J’ai bien
vu à l’air inquiet de Chantal qu’elle a d’abord cru que je
voulais parfumer ma salade, qu’elle craignait de ne pas avoir
suffisamment assaisonnée. Elle sait que j’aime les herbes de
Provence et que je ne suis pas à une fantaisie près.
Je
m’assois et montre l’aérosol à Po-Paï. Ce faisant, malgré moi,
j’appuie sur le bouton qui déclenche la pulvérisation. Une
bonne dose de gaz s’échappe vers Po-Paï. Le chow-chow se
débine : ça, c’est une bonne chose. Ce qui devient saugrenu
malheureusement, c’est cette odeur suspecte de désodorisant
« fraîcheur des prés » de la gamme « Clair Ambiance » que l’on
pulvérise abondamment dans les toilettes pour neutraliser les
odeurs incommodantes. Saugrenu car, dans ce cas, nous sommes à
table…
Personne
n’ose rien dire. Pour me donner une contenance, je regarde
attentivement les indications portées sur le flacon
désodorisant : « pulvérisation ultra fine ». Que signifie
cette indication ? Que les particules sont tellement fines
qu’elles vont s’insinuer partout ? Y compris dans la sauce
salade ? Y compris dans la viande, dans les desserts ? Est-ce
à dire que nous allons faire tout ce repas en ayant
l’impression d’être assis sur la cuvette des WC ?
Imaginez
encore que quelqu’un, ici, ait les mêmes réflexes conditionnés
que Po-Paï qui déclenche l’ouverture de son sphincter rien
qu’en reniflant les cacas. En sentant cette odeur de
désodorisant, quelqu’un ici risquerait de ressentir une
brutale envie d’aller à la selle…
Nous
sommes heureusement sur le balcon. Ce parfum « fraîcheur des
prés » ne disparaît pas pour autant. J’aurais bien voulu moi,
que cela sente réellement les prés et qu’il nous donne
l’impression de nous trouver dans un paysage de montagnes
comme celui qui est dessiné sur le flacon. Ce « Clair
Ambiance » est censé préserver la couche d’ozone donc il ne
peut être nocif pour nos bronches. Mais, allez expliquer tout
ceci à vos voisins de table lesquels, visiblement, n’ont plus
le même appétit qu’au départ.
Ce
Po-Paï, si je le tenais !
Encore
heureux que je n’aie pas ramené un rouleau de papier
hygiénique pour remplacer les serviettes de table…
Magnanime, Chantal vient à mon secours en demandant :
« Est-ce
que l’insecticide qui sert à Po-Paï sent aussi bon ? »

|