Chiot show
Dimanche 25 avril, 23h30 : nous rentrons d’un
week-end passé dans le Nord de la France. Cet avion ayant une heure de retard,
deux jours de conversations en famille, ces bagages encombrants : tout ceci
lasse un peu et je n’ai qu’une envie, me coucher. Auparavant, je fais le relevé
de la boîte aux lettres. Sacré, la boîte aux lettres : elle entretient tous mes
espoirs, je suis toujours en attente d’une nouvelle capitale ayant un bête
aspect de papier (les papiers, toujours).
Il y a une lettre pour Catherine de la part de son
papa. Elle l’ouvre et je vois un grand sourire éclairer son visage malgré la
fatigue du week-end, ce même type de sourire dont je suis gratifié lorsque je
viens de dire ou de faire un petit truc épatant. Des photos émergent de
l’enveloppe.
Contact !
Vite vu de quoi il s’agit : sur les photos, on ne
voit que des boules de poil.
Avec ces photos, se trouve un message écrit par
Michel, le papa de Catherine :
Voilà donc les premières photos (pas très bonnes mais
pas très faciles à prendre) de PO-PAÏ et de sa maman qui s’appellerait NISSAN ?
(à vérifier). Vous pouvez vous faire une première idée avant la découverte.
Grosses bises pour toi et bien amicalement à François.
Suit un bref commentaire de Chantal,
maman de Catherine :
La maman
perdait ses poils, du coup le papa était plus beau mais je n’avais plus de
photos. Gros bisous.
Suivent les signatures de Dominique et
Olivier, les deux frères de Catherine. Ils ont rajouté la mention : « poil au
nez » pour faire la rime avec une phrase précédente.
Oh là ! Oh là ! Du calme ! Je trouve
que cela fait beaucoup en une seule fois. N’oubliez pas que je suis en plein
conditionnement psychologique. J’étais là, bien tranquille, en train d’écrire
pour raconter que j’écris, je me prépare méticuleusement à la venue de notre
compagnon et tout à coup : vlan ! vous me faites brûler les étapes. J’ai affaire
à une bande de sportifs, ma parole, et qui s’imaginent que mon pauvre cœur de
poète peut encaisser tout autant qu’eux.
Reprenons les choses dans l’ordre.
Par la fin, tiens ! Pourquoi pas ?
Je relis : « Poil au nez ». Je trouve
effectivement qu’il est beaucoup question de « poils » dans cette histoire. Il y
a d’abord celui du nez de Dominique (c’est son écriture). Il y a ensuite ceux
d’une maman qui les perd. S’agirait-il de vous Chantal ? Non, bien sûr, je ne
veux pas vous rendre de mauvais poil. Je sais que vous êtes un peu souffrante en
ce moment mais vous ne vous laisseriez pas aller à de telles confidences. Je
suis sûr que vous reprendrez du poil de la bête. A un poil près, j’aurais commis
une belle bévue et ce sont ces clients de tout poil qui vont finir par me
compromettre. Mieux vaut parfois avoir un poil dans la main que de s’épancher en
écritures abracadabrantes qui finiront par me mettre à poil financièrement
parlant et qui ne me laisseront que trois poils sur la tête à cause d’une
calvitie précoce.
Poil ! à la ligne… Point ! à la ligne
(pardon).
Continuons. Avec ces poils, il y a un
« papa plus beau » et « une panne de photos ». Pas mal comme rébus.
En remontant le texte toujours, je
tombe sur les « bises » de Michel. Ça, je comprends. Tout va bien.
Je remonte encore et je vois un
certain « PO-PAÏ ». Il aurait donc déjà un nom de baptême ? Sa maman
s’appellerait NISSAN et il est encore question de photos « pas très bonnes mais
pas faciles à prendre ».
En tremblant un peu, je reprends les
trois photos pour les examiner de plus près. Deux d’entre elles représentent un
chiot chow-chow (prononciation catastrophique si « poil » sur la langue) ; la
troisième, un chow-chow adulte qui est tout, sauf poilu. Je ne vais pas reparler
de poils qui se hérissent sur mes avant-bras, qui se mouillent sous mes
aisselles, qui me provoquent des démangeaisons aux endroits les plus intimes de
mon anatomie. Non ! assez avec les poils sinon vous allez vraiment me tomber sur
le…
Inquiet, je me tourne vers Catherine :
« Comment se fait-il que ce chow-chow
adulte a la fourrure aussi dégarnie ?
- C’est normal. Après la première
portée, la femelle mue. »
Ouf ! J’ai eu peur un moment que l’on
nous refile un malade, un dégénéré et un rachitique. Je continue :
- Ah ! Et là c’est…
- Oui, oui ! C’est Lui ! Une
vraie peluche !
Lui,
c’est-à-dire Toi. Mon premier contact avec Toi se fait au travers d’un papier
qu’on appelle photo. Tu vois bien que j’avais raison de prendre les devants et
de consacrer une petite rubrique sur le thème des papiers. On ne peut pas s’en
passer, je Te l’avais dit.
C’est bien vrai que ces photos
auraient pu être un peu plus soignées, Michel a bien raison. Tu méritais au
moins un gros plan, Toi. Tu es photographié d’assez loin comme si le photographe
avait eu peur de se faire mordre. Tu n’as pourtant pas l’air bien méchant sur
cette photo. En plus, Tu as l’air de T’en foutre, mais de T’en foutre ! Pas un
regard pour l’objectif, tête baissée, Tu as l’air de T’intéresser davantage aux
vers de terre qu’à l’appareil photographique chargé de nous donner de Toi
l’image la plus flatteuse.
J’ai bien regardé : le format de la
photo est de 15 cm x 10 cm. Toi, Tu n’occupes qu’un espace de 3 cm x 2 cm. En
proportions, Tu représente 4% de la surface totale de la photo. On dirait une
pelote de laine sur quatre pattes. J’ai bien observé pour vérifier s’il n’y
avait pas un fil de laine déroulé au cas où l’on aurait vraiment photographié
une pelote de laine.
Et qui a pris ces clichés ? Chantal ?
Chantal, vous toujours si ordonnée, si prévenante et rigoureusement bien
organisée ? Je vais vous offrir un téléobjectif à la première occasion. En plus,
vous nous faites le coup de la panne (de pellicule photo). J’aurais pourtant
bien apprécié de voir quelques prises de vue supplémentaires du chow-chow junior
sous différents angles. S’agirait-il d’un stratagème destiné à gonfler l’effet
de surprise ?
Tu as vu Toi, comme on Te malmène dès
le départ ? Ah ! il était bien temps que Catherine et moi prenions les choses en
mains.
Vient ensuite l’affaire du nom qui T’a
été attribué. Catherine m’avait déjà dit que nous étions dans l’année des « P ».
Pendant douze mois, il est de bon ton d’attribuer un nom commençant par « P » à
chaque chien né au cours de la même période. Ceci permet d’avoir une bonne
indication de l’âge. Soit !
Les parents et les deux frères de
Catherine ont décidé de lui offrir un chow-chow pour son anniversaire. Contact a
été pris avec un éleveur situé à Saint-Étienne (la famille de Catherine habite
Lyon) et une option prise. Devant mes atermoiements, les propriétaires ont dû se
décider à tatouer le chiot qui a été surnommé « Païko » à cause de ses origines
chinoises. Catherine avait initialement décidé de l’appeler « Poupain » (surnom
qui m’est attribué, je le rappelle) mais elle a jugé qu’il y aurait usurpation
de titre. Elle a opté pour « Popeye ».
Michel, toujours très perfectionniste
et scrupuleux, a orthographié « PO-PAÏ » sans doute par crainte du péril jaune.
Mieux vaut rester en conformité avec les traditions.
PO-PAÏ…
Avec vos chinoiseries, me voilà bien
embarrassé pour taper ces lettres sur un clavier : un trait d’union, un « I »
tréma et deux majuscules. Vous rendez-vous compte que j’aurai à le faire des
centaines, voire des milliers de fois dans ce livre ? Aucune pitié pour le
besogneux que je suis.
Alors,
Toi y’en a être maintenant Po-Paï ? Ti y’en a T’appeler comme Popeye li marin
musclé à la pipe, hé dis donc !
Te vexe pas mon Petit Pépère, je
trouve que Catherine a drôlement bien choisi ce surnom de Popeye car vous avez
tous les deux au moins un point en commun : le visage fripé. Il ne Te manque que
la pipe entre les dents pour ressembler à ce héros bagarreur et redresseur de
torts. Il se dope avec des épinards, et Toi ?
Tu trouves que je Te mets en boîte ?
Mais non ! La seule boîte dont je parlais est celle des épinards.
Bon ! Va pour Po-Paï !
Je suppose que je dois estimer que je
m’en tire à bon compte car si Tu voulais vraiment T’inspirer de la culture
asiatique, Tu n’as que l’embarras du choix pour les consonances et les
orthographes.
Avec Pô-Paï, ma frappe sur clavier
aurait été encore plus pénible.
Autre variante aussi : Pôh-Païh. Le
« h » est muet et sa présence reste simplement décorative.
Tu aurais pu choisir également :
Pop-Aïe. Quelle chance que Tu ne sois pas d’origine espagnole car Ton nom
s’écrirait : Pop-Aïe, Aïe, Aïe, Aïe, Aïe !
Si l’on m’avait demandé un avis, dans
le style franco-chinoiseries "hurluberluesques", j’aurais écrit Ton nom :
Pôh-Pahïng en donnant aux intéressés des cours de diction et de gestuelle.
Pôh-Pahïng doit se prononcer à la Gasconne en n’exprimant pas phonétiquement le
« g » mais en laissant traîner le « ein » dans un affreux rictus rigolard.
Ambiance recommandée : foie gras, cassoulet et bordeaux grand cru.
Poôô…. oôoh-Paï doit symboliser
l’émerveillement et la dévotion. Courbette et recueillement recommandés.
Quant à Poôô… oôôh-Païiiiii, il est
réservé aux chows-chows de mandarins un peu snobinards qui tiennent absolument
que l’on sache qu’ils font partie de la catégorie illustre des lettrés.
Enfin, il se trouve une dernière
orthographe qui aurait mis tout le monde d’accord même les plus grincheux :
Poôôh-Païiiii… Hi !… Hi ! Hi !… Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !Hi !
Pour l’instant, je m’en tire donc à
bon compte en l’écrivant : Po-Paï.
Salut Po-Paï ! Bienvenue parmi nous !

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