Po-Paï a pris l’habitude de dormir la nuit dans le
salon, à même le marbre, devant la fenêtre entr’ouverte du balcon. Il me donne
froid ce chien à s’étaler sur ce sol froid en plein courant d’air. Il n’essaye
même pas de se mettre sur le tapis du salon. Il ne vient pas dans notre chambre
où se trouve une moquette accueillante, bien que l’on ne l’en empêche pas. C’est
un solitaire qui aime bien la fraîcheur et son indépendance.
Cette nuit, j’ai décidé de dormir sur le canapé du
salon. Il m’arrive de ne pas trouver le sommeil tout de suite. Pour ne pas
perturber celui de Catherine, je vais au salon regarder un peu la télé et je
m’endors souvent sur le divan avec une couverture. C’est ma façon à moi de
manifester mon indépendance.
Nous sommes donc deux à roupiller dans la même
pièce : Po-Paï et moi. Après une heure de sommeil, je me suis levé pour fermer
cette sacrée fenêtre de salon. Je vous ai déjà dit que depuis que Po-Paï est
avec nous, nous n’arrêtons pas de claquer des dents à cause du froid. J’en suis
arrivé même à avoir la gorge irritée alors que nous approchons du mois de juin.
Pour gagner quelques degrés, je ferme donc cette baie vitrée qui interdit à
Po-Paï l’accès au balcon. J’espère qu’il pourra se retenir toute la nuit.
Vers quatre heures du matin, je suis réveillé par de
petits cris : Po-Paï fait des cauchemars. Petits jappements aigus qui
correspondent sans doute à une bagarre imaginée entre toutous. Allez savoir ce
qui se passe dans sa tête !
Je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête mais dans
ses intestins : oui. Il a des fuites à l’anus mon coquin de Po-Paï et les
flatulences que l’on doit à la Maison Royal Canin sont vraiment « Haut de
Gamme » comme ils l’ont précisé. Tout le salon baigne dans une odeur de musc.
Accordons à Po-Paï le bénéfice du doute : je ne me suis pas douché hier soir. Et
après tout, ces « prouts » sont peut-être les miens. N’accusons pas sans savoir.
Je me retourne sur le côté en tâchant de retrouver le
sommeil.
Je perçois un ronflement : c’est encore Po-Paï. Il
est bien évident que c’est une bonne manière de ne pas l’entendre péter.
Décidément, il n’est pas bête du tout ce chien.
Je siffle comme l’on fait avec certains gros
ronfleurs pour qu’ils arrêtent leur sérénade. Po-Paï croit que je l’appelle. Il
se dirige vers moi et se couche à côté, le long du bas de canapé.
Cinq minutes s’écoulent : nouveaux ronflements. J’ai
de moins en moins sommeil. Je me penche au-dessus de mon chow-chow perturbateur
et c’est à cet instant précis que j’entends un « psst ! » caractéristique
d’autant plus perceptible qu’à cette heure-ci aucun autre bruit ne vient nous
déranger, pas même le chant des oiseaux. Je m’allonge aussitôt car une odeur non
moins caractéristique me taquine les narines, étreint ma poitrine et me comprime
l’estomac. Vraiment, vraiment : qu’est-ce que je ne donnerais pas pour savoir ce
que Royal Canin met dans ses croquettes ! Pour arriver à une telle subtilité
dans la fragrance, de telles variantes dans la gamme des sensibilités
olfactives, une telle maîtrise de l’occupation du volume ambiant, une expulsion
aussi catégorique des gaz fermentés, il faut, pour sûr, que les alchimistes de
Royal Canin connaissent parfaitement les gaz rares. Je pense même qu’ils
cherchent à en fabriquer d’autres grâce à nos chiens car ils me donnent
l’impression d’être sans cesse à la recherche de nouveaux « débouchés ».
Po-Paï, Mon Drôle, Te souviens-Tu du temps où je
T’inventais des noms de baptême avec Tes initiales ? Tu m’inspires (et j’inspire
à double titre, crois-moi) à nouveau en ce moment et je T’attribuerais bien
« Petit Péteur » ou plus grossièrement « Prout Puant » ou plus élégamment
« Péteur Patenté », « Pestilentiel Parfum », « Pâmoison Pétaradesque ». Et un
dernier qui résume tout : « Pouh ! Pouce ! ».
Pouce ! mon chien, en effet. Pousse-Toi de là, je
vais ouvrir la fenêtre. Nous allons suffoquer ici. Je préfère avoir froid mais
vivre dans un air non vicié. Ces croquettes de Royal Canin, je n’ai pas fini
d’en parler. J’ai parlé de « coke » précédemment et je vais finir par croire que
ces aliments secs représentent en effet un fameux carburant car Tu dégages un
gaz encore plus toxique que l’oxyde de carbone sortant des pots d’échappement.
J’ai allumé la télé, il s’est arrêté de ronfler. J’ai
éteint la télé, il a recommencé à ronfler. J’ai remonté les couvertures sur moi
en frissonnant un peu. Je me suis plaqué deux coussins contre les oreilles pour
ne plus entendre.
J’ai fini par me lever pour me faire un café. Terminé
pour le sommeil.
En passant, je lui ai fait une grosse caresse dans
son pelage en lui murmurant :
- Rêve, ronfle et pète : c’est un peu
ça, vivre !



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