Pot de colle

 

            La veille de notre départ, le 28 avril au soir, Catherine passe un coup de fil à l'éleveur pour le prévenir de tenir son chow-chow au chaud (pas pour consommer, rassurez-vous). « C'est un vrai pot de colle » nous informe l'épouse de l'éleveur qui se trouve très bien placée pour juger le futur tempérament de ses pensionnaires. Nous apprenons que Po-Paï est fils unique : il n'a pas de frères et sœurs, deux chiots sont morts nés. Comment, dans ce cas, ne pas être un pot de colle quand on n'a pas la chance de pouvoir s'amuser avec un frère ou une sœur ?

            Mon Brave Vieux, il était grand temps qu'on aille Te chercher.

            Et vois-Tu, heureusement qu'un nom de baptême T'a été attribué in extremis, celui de Po-Paï. Ils auraient été encore capables de T'enregistrer sous Po-Ë-De-Köll. Je Te fais grâce, là encore, de toutes les orthographes possibles et imaginables que l'on pouvait trouver. Si on les laissait faire, ils seraient capables de prendre de l'encre de Chine et de nous écrire Ton nom avec les milliers de caractères composant l'alphabet chinois. Heureusement que Tu es plus malin qu'eux et que Tu T'es désaltéré avec le contenu de l'encrier. (Ils croient tous que Ta langue noire caractérise un chow-chow de pure race, les naïfs !)

 

            Pô-Ehd-Kôhl, Poëd-Coll, Poh-Ê-Dë-Koll ou Po-Dek-Ôll peu importe, pour moi Tu resteras à jamais Po-Paï. Note au passage que toutes ces subtilités d'orthographe sont impossibles à faire passer au cinéma ou à la radio. En effet, comment voulez-vous traduire par l'image ou le son de telles observations ? Seule la technique de l'écriture peut vous faire comprendre, chers lecteurs, quelles affres parsèment la vie d'un chow-chow notamment à propos de l'attribution d'un petit nom. C'est en lisant ce texte que vous comprenez bien toutes les subtilités des dénouements et que l'on peut mieux vous faire passer l'émotion. Voilà pourquoi écriture et lecture résisteront pendant plusieurs siècles encore à la poussée des nouvelles technologies. Vive la lecture et les livres !

 

            Po-Paï, chow-chow mon ami, Tu me fais bougrement gamberger. Depuis bien longtemps déjà, je me prémunis contre les intrusions des médias : j'ai de plus en plus tendance à fuir la télévision et la radio qui cassent le rêve à mon avis. Exemple ce matin, 29 avril, où nous nous apprêtons à venir Te chercher. Comme d'habitude, j'ai amené un café au lit à Catherine. La radio marche en sourdine, je pense à Toi. Dans ce silence matinal de chambre douillette, le commentateur veut absolument nous mettre de force dans le tuyau de l'oreille tous les détails sur le « procès de la malle sanglante ». Un français d'origine algérienne collectionnait les maîtresses depuis vingt ans ; les époux se déchirent ; la femme jalouse et possessive décide de…

            J'ai éteint.

            Pour me « protéger », par souci d'hygiène mentale, j'ai éteint.

            Leur sordide, leurs guerres, leur politique, leurs trucs : m'en fous !

            Je veux me focaliser sur « Pot de colle ».

 

            Je pense à Toi…