
Annonciation
Tu sais, Toi, bien avant que Tu n’arrives, Tu avais
déjà semé la perturbation. Tu n’étais pas encore parmi nous que notre petite
quiétude de couple bien tranquille s’est trouvée malmenée.
Nous sommes le 20 avril 99 et lorsque Catherine m’a parlé pour la première fois
de Toi, c’était il y a quinze jours. C’était un dimanche, je m’en souviens bien.
Elle m’a parlé d’une exposition canine à voir sur Nice. Cela pouvait encore se
faire, bien que je n’aime pas trop contempler les animaux en captivité.
Lorsqu’elle m’a fait part de son intention d’adopter
un chien, j’ai explosé. Et pas n’importe quel chien : un chow-chow ! J’ai failli
m’étrangler avec une malheureuse bouchée de pain. Nous étions en train de
prendre tranquillement notre petit-déjeuner, le soleil brillait, le quartier se
réveillait tout doucement, la mer scintillait au loin et tout à coup : boum !
C’est comme si vous m’aviez placé un bâton de dynamite sous les fesses.
« Comment ? Un chien dans un appartement ? Mais tu
n’es pas sérieuse j’espère ? Et un chow-chow en plus ! Mais tu déraisonnes
complètement ! J’ai trop de respect pour les animaux pour les voir confinés dans
un espace étroit comme celui-ci ! D’ailleurs, je préfère me taire car tout ceci
me paraît trop idiot ! »
Je suffoquais. Une multitude de contre arguments se
bousculaient dans ma tête. Il y en avait tant que je n’en ai pas présenté un
seul de manière cohérente et surtout, d’une façon posée. D’une façon posée et
circonspecte, car en aucun cas, Catherine ne méritait pareille réaction. Elle
s’est tue et c’est pire que si elle avait continué à me parler de son projet.
Moi, je me suis forcé à ne plus rien dire. Nous avons bâclé le petit-déjeuner
sans aucun commentaire supplémentaire.
Il y avait un gros nuage noir dans ma tête : c’était
Toi. Je crois bien que j’y ai vu même quelques éclairs.
Et voilà comment la brouille s’installe dans les
couples. Même dans le nôtre, constitué de deux adultes intelligents (oui,
oui !), respectueux l’un de l’autre, posés, réfléchis et tout et tout.
L’après-midi, Catherine est allée à son exposition
canine. Sans moi.
J’ai attendu trois jours pour qu’elle me reparle de
ce sujet épineux. Elle ne l’a pas fait.
C’est moi qui ai évoqué le sujet à nouveau le
quatrième jour. J’ai ressassé des dizaines de fois les « pour » et les
« contre ». J’ai toujours trouvé plus de « contre » que de « pour ». Je lui ai
calmement exposé tous les aspects négatifs consécutifs à un tel engagement :
manque d’espace dans un appartement, pas de jardin, présence quasi permanente
nécessaire dans la journée, chaleur accablante l’été, poils de chien partout
surtout pour un chow-chow, etc, etc…
Catherine n’a plus rien dit. Toujours très discrète,
Catherine.
Toi, Tu es revenu à la charge le 17 avril.
Ce matin-là, en désignant une photo de chow-chow
accrochée au mur, Catherine me fait :
« Tu sais, pour mon anniversaire, je vais avoir un
petit compagnon comme celui-là. »
Bong !
J’ai failli répondre :
« Alors, ce sera lui ou moi ! »
J’ai encaissé le coup à nouveau. Nous étions encore
au petit-déjeuner : il m’est resté en travers de la gorge à nouveau. Mais ce que
je n’ai pas fait à nouveau, c’est me taire.
Par conséquent, mes explications de la semaine
dernière n’ont pas suffi ? Te revoilà à la charge, Toi ? Depuis une semaine,
Catherine et moi vivons dans une atmosphère de semi-bouderie à cause de Toi.
Cette atmosphère de légère tension n’existe pas habituellement entre nous. On
peut compter sur les doigts d’une main les quelques accrochages que nous avons
connus en sept ans de vie commune.
Voilà donc un couple équilibré qui vit sereinement
depuis plusieurs années et dont la parfaite entente est remise en cause par une
espèce de bête à poils qui n’existe pour l’instant que sur une photo ! Il n’est
peut-être même pas encore venu au monde et il sème la zizanie ? Avouez quand
même que cette affaire devient aussi touffue que le pelage de cette face de
chow-chow rigolard qui a l’air de se moquer de vous à tout bout de champ.
A ce moment-là, je me suis retourné pour examiner la
photo et vérifier que nous allions bien parler de la même chose. C’est vrai
qu’il a une bonne bouille ce lascar et c’est vrai qu’il a l’air de sourire en
permanence. Curieusement, j’ai toujours ressenti une grande tendresse en
contemplant cette photo.
« Alors, ce sera lui ou moi ! » In extremis, j’ai
retenu cette réflexion dans ma gorge. J’ai recommencé par contre mon chapelet de
l’autre jour en démontrant que les contraintes…, en insistant sur l’espace vital
qui…, en imaginant tous ces poils que…, en commentant le fait que si… et bla,
bla, bla et bla, bla, bla…
Elle s’est mise à pleurer… Je me suis tu. Pas fier
l’animal (je ne parle pas de Toi, je parle de moi).
J’ai tenu bon jusqu’au lendemain après-midi.

|