Mon
premier chien à moi
20 avril. Ce matin, délicatement posée
sur le clavier du micro-ordinateur, je vois une enveloppe portant la mention :
« Pour François ».
Comme elle ne comporte pas
de timbre-poste et comme je réfléchis vite, j’en déduis qu’il s’agit d’une
missive interne.
Comme je n’ai rien fait de mal ces derniers temps,
j’en déduis qu’il s’agit d’un mot doux (d’ailleurs, les mots qui ne sont pas
doux s’écrivent rarement : ils se balancent verbalement à la figure).
Et comme dans cet appartement il n’y a que Catherine
et moi-même, j’en déduis que la signataire du billet doux ne peut-être que… Vous
avez gagné !
J’ouvre l’enveloppe. Précision utile car j’aurais
très bien pu ne la lire que plus tard. Ce détail permet aussi de ménager un
suspense toujours très utile dans les livres à succès. Et qui vous dit que ce
que je compose actuellement ne figurera pas parmi les best-sellers, hein ?
J’ouvre donc et puisque j’ai ouvert, je lis. Nous
pourrions continuer ainsi longtemps ; j’ai un grand sens de l’instant présent :
je vous écris que je vais lire et vous allez lire ce que je vais écrire…
Blague mise à part, je suis ému. Pas fréquent les
billets doux de la part de Catherine. En creusant bien dans ma mémoire, je n’en
dénombre que…, heu !… Combien ? Si peu ? C’est vrai qu’elle ne m’a jamais connu
soldat, ni pensionnaire au collège, ni en déplacement en Amazonie. Nous n’avons
jamais été en instance de divorce non plus (croisez les doigts) et par
conséquent : pas de courrier recommandé.
C’est la première fois que la Douce Catherine
m’adresse un courrier ! En voilà une nouvelle ! Je parle de « lettre » parce que
c’en est une. Rassure-toi Catherine, je n’ai pas oublié pour autant les cartes
d’anniversaire, les « post-it » et recommandations culinaires rédigées à la hâte
sur un coin de table. Ici, il s’agit bien d’une lettre, une vraie.
La voici :
Mon premier chien à moi.
Ce titre évoque-t-il quelque chose
pour toi ? Sûrement. En tout cas, je suis sûre que tu comprends maintenant cette
petite (je peux même dire grande) excitation que je ressens. Par contre ce
titre, j’ai aussi envie de le modifier car je voudrais dire : « notre premier
chien à nous ». Grâce à toi, je vais réaliser un rêve qui me tient à cœur depuis
des années. Depuis l’âge de cinq ans (et même avant), je ne rêve que de chiens ;
depuis l’âge de neuf ans, mes yeux font des étincelles dès que je vois un
chow-chow. (Et depuis que j’ai trente deux ans et demi, mes yeux font des
étincelles lorsque je vois mon « Poupain »). Une première étape dans ma vie
s’est concrétisée voilà sept ans et demi, maintenant, tous les deux nous allons
franchir un nouveau pas.
Nous aurons parfois quelques moments
difficiles dans l’éducation de ce nouveau venu car nous allons devoir nous
substituer à ses parents mais je suis sûre qu’ils seront vite oubliés devant les
facéties de notre jeune protégé. J’attends avec impatience le moment où nous
serons tous les trois et j’ai hâte de voir le « duo » de charmeurs que vous
allez faire.
Je n’ai pas la même facilité que toi
pour transcrire sur une page blanche toutes les émotions qui me bouleversent
mais peut-être comprendras-tu tout ce que je veux dire par :
Merci, merci de tout mon cœur d’avoir
dit oui !
Catherine
« Ce titre évoque-t-il quelque chose pour toi ? » Bien entendu qu’il évoque
quelque chose pour moi. Afin de mettre le lecteur dans le coup, fournissons-lui
les quelques éléments nécessaires et par la même occasion, permets-moi de te
confirmer que tu as visé juste en établissant cette judicieuse comparaison.
J’écris que j’écris (je l’ai déjà dit tout à l’heure). Là, je le fais pour une
revue spécialisée destinée au monde de l’édition et je traite la rubrique
« autoédition ». Je raconte comment j’ai fabriqué de bout en bout mes premiers
livres d’une façon artisanale. Ecrit, fabriqué, édité et même diffusé. Je le
raconte avec attendrissement et avec émotion comme s’il s’agissait d’un
enfantement. Je suis en passe de vivre de mes écrits, pensez donc ! Le premier
article que j’ai rédigé s’intitule : « Mon premier bouquin, à moi ».
Bien vu, Catherine !
Bien vu encore pour le rajout : « notre premier chien
à nous ».
Bien vu toujours pour les yeux qui brillent autant
pour le « Poupain » que pour le chow-chow (Poupain est mon surnom).
Ne te méprends pas sur mes réactions : j’ai un
profond amour pour les chiens également. Dommage qu’ils nous fassent tant
pleurer quand ils disparaissent. J’ai honte de dire que j’ai sans doute plus
pleuré pour cet adorable compagnon que pour la perte de certains êtres humains
proches. Mais il est invraisemblable, je le reconnais, de ne plus vouloir
connaître l’amour de peur de souffrir en cas de séparation. Avec des
raisonnements comme ceux-là, beaucoup de célibataires attendent l’âme sœur toute
une vie.
Merci pour les yeux qui brillent quand j’apparais.
Plus brillant encore, je m’efforcerai d’être.
Tout de même… Des yeux qui brillent depuis plus de sept ans quand ils me voient…
Faudra que je me regarde plus en détail dans une glace.
« … maintenant, tous les deux, nous allons
franchir un nouveau pas. » Comme toi, Catherine, j’ai parfaitement
conscience que quelque chose va changer dans notre vie. Je n’imaginais
d’ailleurs pas qu’un événement comme celui-là puisse m’accaparer autant. On
dirait qu’avec l’âge, les petits faits de la vie quotidienne sont perçus avec
plus d’acuité. S’agit-il de l’âge de raison dont on parle tant ou deviendrais-je
« nunuche » ?
Note au passage, Douce Catherine, que lorsque je
m’adresse à toi par écrit tu n’as même pas droit au « T » majuscule
contrairement à « l’autre » qui va bientôt nous rejoindre. N’y vois pas
discrimination de ma part. En utilisant la majuscule pour le chow-chow, j’ai
voulu compenser le prénom que je ne connais pas encore. Je déifie déjà notre
petit protégé.
« … et j’ai hâte de voir le duo de charmeurs que
vous allez faire. » Ce sera donc un mâle ? Je ne m’étais même pas posé la
question. Je m’aperçois également que tu me vois toujours comme un « charmeur ».
Comme au premier jour ? C’est formidable pour un homme d’apprendre cette
confidence de la part d’une femme qui vit déjà depuis plusieurs années avec lui.
Moi qui pensais être plus souvent ours que Don Juan. Fallait-il donc la venue
d’un chien pour que je l’apprenne ? Ne serais-Tu pas chimiste de formation, Toi
le chow-chow ? car Tu agis comme un révélateur au niveau des femmes, un
catalyseur au niveau de l’union des couples, un liant au niveau de la tendresse
et un « sublimateur » de l’amour.
« Je n’ai pas la même facilité que toi pour
transcrire sur une page blanche toutes les
émotions qui me bouleversent… » Pas trop de compliments quand même
Catherine ! En moins de dix lignes, tu déclares que ton mec est plaisant à
regarder et en plus, il aurait des prédispositions artistiques dirons-nous. Tout
cela fait beaucoup en une seule fois. Je n’ose tout de même pas imaginer qu’il
s’agit là d’une stratégie féminine pour amadouer définitivement le récalcitrant.
Tu as autant de facilité que moi pour l’écriture,
seulement voilà : tu as eu moins d’occasions que moi de le faire. Si tu
m’adresses une page d’écriture tous les sept ans, il est vrai que tu n’as pas
beaucoup de choix dans le vocabulaire pour nuancer les états d’âme. Pourtant,
quel impact une lettre, une simple lettre ! Vois le résultat : elle m’a
tellement touché que j’éprouve le besoin de te faire les commentaires par écrit.
Quand je me suis aperçu de l’effet magique produit par l’écriture, j’ai
effectivement commencé à remplir des pages et des pages. J’ai le sentiment
depuis, de vivre une double vie, de savourer davantage les instants vécus, de
cristalliser l’instant présent, de déguster par avance les situations futures et
surtout, surtout : de laisser une trace pour toujours. Et parmi les bons moments
qui restent à déguster, il y a Lui.
« Merci, merci de tout cœur d’avoir dit oui ! »
Désolé d’avoir pour un temps fait figure de despote. Mes réticences n’ont pas
été formulées pour exercer une autorité déplacée de maître fantoche. Dans ma
réaction, il y a eu plus de nostalgie que d’agacement. Nous aurons l’occasion
d’y revenir car j’ai l’intention de suivre pas à pas notre nouveau venu et
d’utiliser mes aptitudes d’écrivain-journaliste-reporter que tu sembles
apprécier.
Merci Catherine pour ton petit mot très émouvant.


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