
Je pisse !
Ce que je vais vous raconter
maintenant, vous ne le trouverez nulle part ailleurs. Ce n’est pas possible. Ce
n’est pas possible que vous rencontriez un homme suffisamment loyal,
suffisamment fou et suffisamment facétieux pour vous entraîner dans de tels
détails de sa vie intime. Jamais, je dis bien jamais, vous n’aurez
l’occasion d’être tenu ainsi en haleine par des écrits et jamais vous n’aurez
ensuite l’occasion de pouffer de rire jusqu’à vous mouiller le pantalon par
manque de retenue (dans un cas comme celui-là, je préfère rester correct et ne
m’adresser qu’aux lecteurs masculins). Ce que je vais vous narrer n’a jamais été
narré au cours des siècles précédents et il s’écoulera encore des siècles et des
siècles avant qu’un candidat n’ose présenter une telle narration en public.
On y va !
Aujourd’hui, Dimanche 24 octobre 99, à 6h30, Po-Paï
vient me réveiller : il veut sortir. Je l’enlace affectueusement pour lui
souhaiter le bonjour. Je m’étire paresseusement dans le canapé du salon. Vers 3h
du matin, j’ai quitté silencieusement la couche conjugale pour ne pas réveiller
Catherine. Nous n’avons toujours pas remis le chauffage dans l’appartement et
les nuits sont fraîches. J’ai remplacé donc mon pyjama par un survêtement pour
ne pas avoir trop froid en allant dormir dans le canapé car la couverture dont
je me protège n’est pas si épaisse que cela.
Bien entendu, si je vous fournis tous ces détails,
c’est qu’ils sont d’une importance capitale pour la suite du scénario. Donc, je
résume : à 3h du matin je quitte notre chambre, passe dans la pièce à côté pour
enfiler tee-shirt, chaussettes, survêtement, prends une couverture, un oreiller
et rejoins silencieusement le canapé dans le salon où se trouve Po-Paï. Au
passage, je n’oublie pas d’emmener mes chaussures de tennis que j’enfilerai le
matin pour sortir Po-Paï. Tout cela doit permettre à Catherine de dormir
calmement jusqu’à 8h au moins sans être dérangée par « ses deux hommes ».
Oui, je sais, vous êtes surpris : pourquoi se
recoucher à 3h du matin alors qu’à 5h30 je serai debout ? Ne vous cassez pas la
tête, c’est comme ça. Quand vous ferez comme moi, vous vous apercevrez que vous
menez une double vie, que vous faites deux fois plus de choses que les autres en
donnant l’impression d’en faire deux fois moins. Comme je le disais l’autre
jour : c’est très compliqué de mener une vie facile mais c’est très facile de
mener une vie compliquée. Ne compliquons plus.
Bon ! Ne dérivons pas car l’heure est grave et je
n’aurai pas trop de quatre pages pour vous expliquer l’affaire. Toutes ces
précisions sont donc destinées à vous expliquer que je dors la nuit avec mon
chien dans la niche et que cette niche, chez nous, s’appelle « salon ».
Catherine se retrouve par conséquent avec deux chiens de garde. Même Cléopâtre
n’a pas été aussi bien gardée par ses vigiles.
Après avoir consulté quelques paperasses et regardé
un peu la télé, je pense que je me suis endormi vers 4h30. Ce qui explique qu’à
6h30, je roupillais toujours. Nous sommes Dimanche et c’est officiellement jour
de repos : ceci explique cela. Par contre, pour Po-Paï, la vessie ne connaît pas
de jour de repos. Voilà pourquoi… Bref ! vous avez compris.
A ce stade, il vous faut assimiler un détail crucial.
Comme dans les séries policières, si vous négligez un élément de l’intrigue,
vous ne pouvez pas comprendre le reste. Po-Paï veut sortir : je bondis de ma
couche, enfile mes tennis et sors immédiatement avec lui. C’est cette scène
qu’il faut bien mémoriser. Pourquoi ?
Parce que vous avez remarqué que je n’ai pas à
enfiler de pull, de robe de chambre ou autre puisque je suis déjà habillé.
J’ai un survêtement qui me tient suffisamment chaud pour pouvoir affronter le
doux climat de l’automne méditerranéen. De plus, il fait encore noir à cette
heure-ci et nous ne risquons pas de croiser beaucoup de monde. Inutile donc de
briller par mon élégance et, d’autre part, mes cheveux ébouriffés n’effraieront
personne.
Que c’est reposant de se promener avec son chien le
matin de bonne heure dans l’obscurité au milieu de cette résidence calme où tous
les occupants dorment encore ! Je garde néanmoins Po-Paï en laisse car je n’ai
pas envie qu’il me fausse compagnie tant que le soleil ne s’est pas levé.
Quelques oiseaux chantent dans les arbres, l’air frais me fait frissonner, je
referme à fond la fermeture à glissière de mon blouson de survêtement, Po-Paï
entame sa série de pipis. En fait, tout se passe comme si je sortais en pyjama.
Si je frissonne, c’est tout à fait normal. Nous ne sommes plus en été et ne
bénéficions plus de températures caniculaires qui permettaient de n’avoir pour
tout vêtement qu’un seul short. Si je m’amuse à sortir en pyjama, pas étonnant
que j’attrape la chair de poule.
J’attrape quelque chose d’un peu plus gênant : une
forte envie de pisser. Je suis tellement préoccupé par les besoins de ce
chow-chow enquiquineur que je n’ai même pas pensé à faire les miens. Me voilà en
train de regarder quelqu’un uriner en ayant moi-même la vessie gonflée à
éclater. Cette petite fraîcheur matinale n’a pas arrangé les choses.
Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ? Il fait
encore nuit noire, il n’y a personne, nous nous trouvons sur un petit sentier
goudronné qui n’est pas vraiment un endroit de passage, les bosquets
environnants m’invitent à le faire : je pisse.
J’ai baissé le pantalon de survêtement (il n’y a pas
de braguette), un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, un coup d’œil
derrière pour vérifier qu’il n’y a personne sur le balcon et un coup d’œil
devant pour bien viser : je pisse. Je vous le concède, ce ne sont pas des
endroits conçus pour ce genre d’exercice mais vous n’allez pas me dire qu’un
malheureux pissat d’individu moyen comme moi va polluer l’environnement. Quand
une envie brutale s’empare de vous, il faut décharger. Auriez-vous voulu que je
fasse dans le pantalon ?
J’ai fait de toute façon « dans » et « sur » (le
pantalon). N’oubliez pas que je tenais toujours Po-Paï en laisse. Ce curieux est
venu voir ce que je fabriquais. Au début, j’ai bien visé entre deux bosquets
pour que le jet d’urine disparaisse immédiatement dans le sol. Jusqu’à présent,
je n’avais jamais pissé devant Po-Paï, ce qui explique son air intrigué. Il
s’est approché. Pour ne pas lui pisser sur la tête, j’ai fait un écart de
l’autre côté. Le jet s’est écrasé sur des feuilles de laurier rigides en
éclaboussant tout autour. J’en ai reçu sur les mains, sur les vêtements, mais
Po-Paï a été épargné. A force de ne pas vouloir uriner sur mon chien, j’ai
réussi à effectuer un virage de 180°, ce qui m’a placé juste en face des balcons
de l’immeuble.
En ce tranquille Dimanche matin d’octobre, les rares
privilégiés qui se lèvent tôt et qui sont venus s’étirer en baillant sur leur
balcon, ont assisté à un bien curieux spectacle. Je suis même certain qu’ils ont
cru encore rêver tout éveillés. Ils ont vu un gars qui pissait majestueusement
en plein milieu de l’allée face à eux, avec un chien qui lui tournait autour.
Ils ont vu cet homme étrange rire aux éclats, engueuler son chien, et ils ont
clairement entendu que cet énergumène se soulageait des deux côtés.
Voilà très exactement ce qui s’est passé.
« Po-Paï écarte-toi ! Tu vas me foutre le camp,
oui ? » C’est, bien entendu, ce que je lui ai d’abord dit en pissant. Il n’a
rien voulu savoir et s’est approché, au contraire, de plus en plus. Exactement
comme la tourelle d’un canon qui s’apprête à tirer, j’ai d’abord bifurqué de
quelques degrés sur la droite pour changer de cible, puis encore, et encore,
jusqu’à faire complètement demi-tour. S’arrêter d’uriner quand le robinet est
ouvert n’est pas chose facile. Autant aller jusqu’au bout. C’est une situation
où l’on ne se sent plus pisser, n’est-ce pas le cas de le dire ?
De voir l’autre clébard me tourner autour m’a d’abord
contrarié. Puis, j’ai souri. Et j’ai fini par éclater de rire franchement.
Là-dessus, je n’ai pu retenir un « prout ! » retentissant qui est venu claquer
avec poésie dans le calme matinal. Ce Po-Paï me faisait tellement rire que je
n’ai pu retenir un pet. Après tout : péter en urinant, quoi de plus naturel ?
Que celui qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre !
Engueuler Po-Paï ne servait à rien, c’était comme
pisser dans un violon. J’ai décidé de laisser courir : il y a suffisamment de
pisse-froid et de pisse-vinaigre dans ce monde. Po-Paï se calmera bien, il faut
laisser pisser le mouton, c’est une bête qui pisse longtemps. Je vais arrêter là
mes expressions pisseuses d’autant qu’on dit aussi « laisser pisser le mérinos »
ce qui me paraît de circonstance vu que je suis du signe du bélier. Pissons !
Euh… Passons ! Toutes mes excuses.
C’est ainsi que ce matin-là, je me suis donné en
spectacle sans le vouloir. Je pense que l’obscurité complice a atténué
énormément l’intensité de l’événement car je n’ai pas entendu de cars de flics
susceptibles de venir m’embarquer pour outrage à la pudeur. Voilà comment une
innocente promenade avec un joli chow-chow tout propre peut se terminer par la
mise en prison de deux délinquants puant l’urine, de deux pisseux, en somme.
Ce n’est pas tout.
C’est après que la scène devient vraiment cocasse.
C’est après que j’ai vraiment décidé d’en rire et d’écrire cette petite anecdote
sous forme d’historiette.
Après m’être soulagé, j’ai remballé tout mon matériel
en me secouant de partout. J’avais réussi à ne pas arroser Po-Paï et c’est déjà
bien. Pour le reste, un passage à la douche suffira. J’étais occupé à remonter
mon pantalon à élastique et je n’ai pas remarqué tout de suite que Po-Paï
reniflait méticuleusement les endroits où je m’étais glorieusement soulagé. Il
sniffe et me regarde. Il sniffe encore et me regarde encore. Deux fois, trois
fois, quatre et encore. Je jure mes grands Dieux que si le Seigneur avait donné
la parole à Po-Paï à ce moment, j’aurais entendu :
- Et pourquoi tu ne lèves pas la patte
comme moi ? C’est moins compliqué.
En pouffant de rire, je me suis dit
que si j’avais, en plus, levé la jambe en pissant comme Po-Paï, j’aurais fini
les quatre fers en l’air dans les buissons. Et de toute façon, vous avez déjà
essayé, vous, de lever une jambe en ayant le pantalon baissé ?
En pouffant de rire à nouveau, j’ai
tiré sur la laisse pour écarter Po-Paï de cet endroit névralgique. J’ai
tellement ri que les quelques gouttes de pipi qui me restaient dans la vessie
ont dû immédiatement imprégner le pantalon. Un peu plus, un peu moins, quelle
importance ? Au point où j’en suis, toute considération pudique de ma part
serait interprétée comme dissimulation de faits pour l’établissement de la
vérité. Je t’avais prévenu, lectrice, lecteur, que tu allais te retrouver
jusqu’aux tréfonds de mon intimité. Personne auparavant ne s’était risqué à
pareil exercice en rapportant chaque fait dans le moindre détail. Pisser et
péter a déjà été montré au cinéma mais sur la tête d’un chien, jamais !
La prochaine fois, tout de même, j’irai proprement
aux toilettes avant de sortir Po-Paï. Tant pis si la chasse d’eau réveille
Catherine. Sinon, à force de se retenir, un jour viendra où je déféquerai
carrément dans la pelouse avec Po-Paï. Les gens nous verrons accroupis tous les
deux sous le taillis, occupés que nous serons l’un et l’autre à faire caca. Et
si quelqu’un nous voit et nous fait une remontrance, tout logiquement, je
répondrai : « Vous nous faites ch… ! »
En parlant d’ « accroupi », j’ai
encore ri en imaginant quelle aurait été la réaction de Catherine en pareil cas
de figure. Elle promène Po-Paï et a un besoin impérieux de faire pipi, elle ne
peut plus se retenir. Elle s’accroupit et c’est alors que Po-Paï vient lui
renifler le derrière…
Non, Catherine, je n’irai pas jusque là. Te rends-tu
compte jusqu’où l’on peut aller en faisant le pisse-copie ? J’ai toujours su que
l’écriture constituait un excellent exercice d’évacuation cérébrale, mais
urétrale, jamais !

|