Le printemps est là

 

            Aujourd’hui, 19 février 2000, le printemps est là.

            En fait, il était déjà là en 1999, et l’année d’avant. Et toutes les autres années d’avant. Il sera là encore en 2001 et chaque année pendant longtemps encore. Ce qui compte, dans ma déclaration, ce n’est pas vraiment l’année. C’est le jour.

            C’est le jour, l’heure, l’endroit et les circonstances.

 

            Je reprends donc : aujourd’hui, 19 février, à 6h30, quelque part à l’ouest de Nice, en compagnie de Po-Paï, j’ai vu, senti et entendu que le printemps était là.

            Je l’ai vu grâce à cette splendide luminosité du soleil levant. Les étoiles scintillent encore dans le bleu foncé de la nuit qui disparaît.

            Je l’ai senti grâce à ce parfum de mimosa qui emplit l’atmosphère. Il y a également dans l’air cette fraîcheur, cette senteur bien particulière que seul le printemps est capable de produire.

            Je l’ai entendu surtout. Oui, c’est cela : je l’ai surtout entendu ce printemps déjà là, un 19 février. Pour cela, il faut faire abstraction de cet aboiement lointain et du chuintement de quelques voitures dans la vallée.

            On m’a toujours expliqué que la Terre tourne autour du Soleil et que les saisons résultent du fait que la Terre est inclinée de 23 degrés par rapport à la perpendiculaire au plan elliptique. On m’a toujours expliqué que le solstice d’hiver est aux alentours du 21 mars et que c’est à cette date que le calendrier détermine l’arrivée du printemps. Ce n’est pas vrai ! Pas vrai du tout !

            Si je vous dis que le printemps est arrivé ce matin, c’est qu’il est arrivé ce matin. Ecoutez avec moi ce superbe concert. Ecoutez ces chants d’oiseaux. Là ! Celui-là ! C’est un rossignol, n’est-ce pas ? Et ces autres là ? Ce sont des merles ? Ou des moineaux ? Je n’y connais pas grand chose en oiseaux mais je puis vous assurer que c’est bien le chant de ceux qui annoncent le printemps. Ils ne se trompent jamais, eux. Ils n’ont pas besoin de calendrier, eux. Ni d’indications astronomiques, eux.

 

            Voilà 53 ans que j’entends tous les ans cette musique bien particulière annonçant le printemps. Quelle que soit la région que j’ai habitée à ce moment-là, je puis vous dire que je l’ai entendue à chaque fois. Oh ! bien sûr, à quelques jours près, je ne vous affirmerai pas que je suis allé vérifier sur le calendrier si nous étions à la bonne date. Et puis, c’est vrai, j’ai plus « entendu » que « écouté ». J’ai toujours été pressé de faire quelque chose à ce moment-là et j’enregistrai très furtivement les chants d’oiseaux. Voilà pourquoi je n’y connais pas grand chose aux variétés d’oiseaux.

            Aujourd’hui, ce n’est pas pareil.

            Le printemps est là, j’en suis sûr. Ce 19 février, j’en suis sûr.

            J’en suis absolument sûr et certain car j’ai bien vu ce que Po-Paï a fait.

 

            Il admet sans doute, comme je le fais, que cette région de la Côte d’Azur est bien privilégiée par rapport aux autres. Je ne vois qu’une explication à ce régime de faveur. Chez nous, l’axe de rotation de la Terre ne doit pas être le même.

            Eh bien ! Qu’a donc fait Po-Paï ? Pas grand chose, figurez-vous. Moi non plus, d’ailleurs. J’ai fait une chose toute simple que je ne prenais pas le temps de faire avant : écouter. Il a fallu dans ma vie l’intrusion de ce chow-chow pour que j’apprenne à apprécier ? Peut-être. Sans Po-Paï, je ne serais certainement pas dehors à 6h30 aujourd’hui, à patienter calmement. Patienter pour que le chow-chow fasse ses besoins en prenant tout son temps. Même lorsque je partais pour une expédition en montagne, je ne prenais pas ainsi mon temps.

            Le temps de déguster…

            Le temps de voir venir le printemps…

            Saisir l’instant précis où il arrive là, à 6h30, en ce matin du 19 février.

 

            Je suis immobile au milieu du gazon. Po-Paï est venu s’asseoir à mes côtés. Silencieusement. Nous regardons tous les deux dans la même direction. Là où le soleil se lève. Nous écoutons tous les deux le concert des oiseaux. Nous restons là longtemps, longtemps…

 

 

            Toi aussi, l’an prochain, fais comme moi : prends un chow-chow avec toi et regarde le printemps arriver…