La bave
Quand Po-Paï était petit, le cas ne se présentait
pas. Avec sa taille actuelle, oui.
Le scénario type est celui-ci.
Je suis assis à table, nous prenons le repas. Po-Paï
pose son museau sur une de mes cuisses. La signification de cette pose est très
claire :
« Dis ! Tu me donnes un bout de quelque chose de
bon ? »
Ce faisant, il me barbouille le pantalon d’un liquide
aux senteurs pas très ragoûtantes.
Il est toujours mouillé sous le menton après avoir
bu. D’autre part, il a toujours un peu de salive qui lui coule de la gueule,
d’autant plus qu’il détecte de bonnes odeurs de cuisine. Ce mélange baveux sent
excessivement fort. Et quand je dis « fort », c’est pour ne pas dire
« mauvais ». Rien n’est « mauvais » venant de Po-Paï, vous le savez bien.
Je le frotte fréquemment sous le menton avec une
serviette mais ce n’est pas suffisant. C’est un peu de ma faute car je n’ai
toujours pas mis cette histoire de bavoir en application. L’écriture de ce livre
me prend trop de temps et je n’ai donc pas le temps de m’occuper de mon
chow-chow… (Par contre, qu’est-ce que je me donne comme temps pour raconter des
inepties !)
Je le nettoie pourtant fréquemment, disais-je. Malgré
tout, il arrive toujours à me mouiller quelque part. Et que faudrait-il faire,
je vous le demande ? Ne plus le toucher ? Lui refiler un grand coup de pied dans
les côtes en braillant : « Allez coucher ! » ?
Il paraît que dans certaines chaumières cela se fait.
Je crois savoir que ce sont ces mêmes chaumières où les femmes sont battues par
des ivrognes invétérés, où les enfants se droguent et finissent par égorger leur
géniteur. Ces chaumières-là, moi, je ne suis pas d’accord pour vivre sous leur
putain de toit, fût-il en chaume ou pas.
Ce n’est pas grave Po-Paï. Ce sont Tes nombreux poils
qui assurent une grande partie de Ton succès et il est donc normal qu’ils
T’occasionnent parfois de petits inconvénients. Je Te promets que je réfléchirai
à un dispositif astucieux lequel, en aucun cas, ne consistera à couper tout ou
partie de cette magnifique crinière léonine. Tu es et Tu restes mon petit lion.
Baveux… mais petit lion quand même.
Moi, je m’en fous après tout, que le pantalon soit
légèrement trempé. Baroudeur pour baroudeur, autant avoir l’air un peu
cradingue. Je reste ainsi encore plus authentique dans mon côté bohème et mon
style « coup de boule ». Ce n’est pas un Po-Paï qui va altérer ma classe
naturelle même s’il me met autant de bave que s’il avait pissé directement sur
mon pantalon.
Moi, je m’en accommode fort bien, donc. Au moment où
Po-Paï dépose ses sécrétions douteuses, il suffit de ne pas être vêtu en
smoking, c’est tout. Et même si je me rendais à un cocktail, il suffit de
renverser un verre de champagne sur mes vêtements en début de soirée, c’est
tout. Il suffit de considérer que la bave de mon Po-Paï est une marque
d’affection, c’est tout. Il suffit de considérer que le champagne donne mal à la
tête alors que le mucus de Po-Paï ne fait aucun tort, c’est tout.
Toutes les raisons sont bonnes pour excuser le
comportement d’un chow-chow, voyez-vous.
Il n’y a qu’une chose, une toute petite chose… Une
vraiment, petite, petite chose insignifiante…
Depuis un certain temps, Catherine me regarde avec
suspicion en fronçant les sourcils. Elle m’a déjà dit à plusieurs reprises :
« Tu ne devrais pas remettre dans ta penderie des
vêtements que tu as déjà portés. »
Moi, prudent, je ne réponds rien. Pour ranger mes
vêtements, j’ai une pièce qui m’est entièrement réservée. Pour mes tenues
vestimentaires, j’adopte un rangement « style célibataire » c’est-à-dire qu’il y
a d’un côté un gros tas bordélique des articles que je porte couramment : les
« pas propres », et de l’autre côté, les « propres » dans la penderie. Lorsque
je ne porte une chemise qu’une seule fois et que je n’ai pas trop sué, je la
remets dans la penderie. Inutile qu’elle aille trop souvent au lavage, les
fibres textiles risquent d’être abîmées par le tambour de la machine à laver…
Depuis un certain temps, règne dans « ma » pièce une
odeur de… de « célibataire », précisément. Ça sent l’homme pas très bien lavé.
J’ouvre fréquemment la fenêtre pour aérer. Catherine s’est aperçue de ce petit
flottement suspect dans l’air et me reproche donc - à juste titre - ce
léger flottement dans mon hygiène quotidienne.
Je me lave plus fréquemment. Je mets plus souvent mes
vêtements dans la machine à laver. Rien n’y fait.
Je n’ai l’explication que depuis quelques jours
seulement.
Si vous étiez chez nous, vous auriez eu à résoudre la
même énigme.
Habillez-vous proprement, lavez-vous correctement,
parfumez-vous si vous voulez et venez chez nous. Lorsque vous repartirez, vous
sentirez le cochon.
Vous avez compris, n’est-ce pas ?
La bave de Po-Paï !
Moralité : pour garder à distance les importuns,
prenez un chien très dissuasif. J’ai nommé : le CHOW-CHOW !

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