Po-Paï sur les
plateaux de la télévision
Ce matin, au retour de sa promenade avec Po-Paï, je
me souviens maintenant que Catherine m’a vaguement parlé de diarrhée. Pas chez
Catherine : chez Po-Paï !
Oui, je m’en souviens très bien
maintenant. Voilà des semaines et des semaines que ce chow-chow n’a plus
d’ennuis digestifs et qu’il ne s’est pas tordu la patte. Catherine avoue lui
avoir donné hier soir un bout de saucisson datant de la guerre 14-18. Elle a
certainement dû faire le nettoyage de son frigo et a donné une quelconque
saloperie bourrée de moisissure à son chow-chow favori en lui faisant croire
qu’il s’agit d’une gâterie en provenance d’un restaurant quatre étoiles. Encore
heureux qu’elle ne l’ait pas proposée à moi, cette gâterie.
Il se trouve que ce matin, j’ai
rendez-vous dans les locaux de la télévision régionale. Ce que vous lisez en ce
moment est la dernière historiette des 2000 pages consacrées à Po-Paï. Je me
suis dit qu’il serait peut-être bon que mon proche entourage le sache. Jusqu’à
présent, je n’avais fait aucune action locale et toutes les publications ont été
faites au niveau national. Même si l’impact doit être nul, je me devais de
passer au moins à « France 3 Régional ». Ils se trouvent à dix kilomètres de
chez nous, ce sera une question de quelques minutes tout au plus.
Au dernier moment, je décide de
prendre Po-Paï avec moi.
Après tout, c’est lui le personnage
central. Moi, je n’ai fait que gratter du papier. La vedette, c’est lui ; moi,
je suis son scribe, son biographe, son assesseur, son valet de pied. Si le
journaliste n’accepte pas Po-Paï dans les studios, je l’envoie dinguer, lui et
ses caméras. Je suis venu pour promouvoir mes livres donc parler de Po-Paï. Lui
et moi sommes inséparables dans cette opération. Si succès il y a, c’est tout de
même à Po-Paï que je le devrai.
Les bureaux de la TV régionale sont
bien gardés ; n’entre pas qui veut. Ma voiture franchit le portail une fois
ouvert et je me gare au bout du parking, près des espaces verts car j’ai
l’intention de faire un petit tour avec Po-Paï avant pour des raisons de
sécurité évidentes. Faire pipi contre les caméras, cela ne se fait pas pour un
chow-chow bien élevé. Si nous devons passer à la télé, autant faire bonne
impression jusqu’au bout.
Là où nous nous trouvons, dans ce parc
privé tout clôturé, je peux laisser Po-Paï en liberté. A peine sorti de la
voiture, il se précipite au beau milieu de la pelouse et se met dans une
position que je connais bien. Il lui sort des intestins une ratatouille maison
qui s’étale copieusement en plein milieu de cette pelouse magnifiquement
entretenue.
La diarrhée !
Le trac ! J’ai d’abord pensé au trac.
C’est la première fois que Po-Paï vient faire un tournage en studio. L’ambiance
n’est pas la même qu’en extérieur. Sur un plateau de tournage, l’atmosphère est
un peu plus crispante. Ce n’est pas la première fois que Po-Paï passe à la télé
mais avec « Canal + », l’autre jour, il y avait une ambiance bon enfant qui n’a
pas tordu les intestins de mon pauvre chow-chow comme cette fois-ci. Comme toute
grande vedette qui se respecte, mon Po-Paï a le trac : il a la chiasse.
C’est à ce moment-là que je me suis
souvenu de la réflexion de Catherine plus tôt dans la matinée : il a la
diarrhée !
Il a fallu que ce soit justement
aujourd’hui que se produise cette petite indisposition. J’aurais dû le laisser à
la maison au repos. Je ne sais pas pourquoi je l’ai embarqué avec moi. Lorsque
nous serons à l’intérieur des locaux, s’il n’arrive pas à fermer le robinet de
son anus, j’aime autant ne pas penser à l’état de leur moquette.
En plus, mon brave Po-Paï se cache
toujours pour déféquer. Aujourd’hui, il est allé au beau milieu d’un bel espace
vert dégagé. Juste en face de tous les bureaux ! Je n’ose pas regarder en
direction des bâtiments de la chaîne de télévision. Ils doivent être tous à leur
fenêtre en train de regarder. De regarder et de rire. De regarder et de
désapprouver. De bien me regarder pour bien se souvenir à quoi ressemble un
homme qui autorise son chien à chier au beau milieu d’une pelouse bien
entretenue ! Ils regardent et peut-être bien qu’ils se sont mis à filmer.
La honte !
Je m’en fiche un peu de cette télé
régionale mais si je suis venu, c’est quand même pour faire bonne impression. En
guise de bonne impression, c’est réussi. Il y a des moments où l’on aimerait
entrer dans un trou de souris.
Si encore, il avait eu les excréments
de la même consistance que les croquettes de la RC comme il les a d’habitude,
l’honneur était sauf. Au lieu de cela, je ne vous décris pas l’écoulement pâteux
lamentable qui lui est sorti du derrière et la large bouse de vache qui s’est
répandue sur le gazon tondu à ras et magnifiquement entretenu par « France 3 »,
chaîne de TV soucieuse de donner une bonne image de marque. Avec des crottes
saines, j’aurais été confus ; avec cette bouillabaisse, je fus con.
Imaginez ce que peuvent penser ces
journalistes qui voient débarquer un garçon distingué (moi) en compagnie d’une
superbe créature (Po-Paï). Ils se disent que c’est un bien beau spectacle. Ils
voient ensuite la superbe créature faire ses besoins et admettent que c'est un
peu normal puisque la superbe créature a l’allure d’un chien. Quand ils
constatent que les besoins sont en réalité une ignoble mélasse éclaboussante, à
mon avis, ils renoncent à considérer qu’ils ont devant eux superbe créature et
garçon distingué.
C’est pour le moins une arrivée très
remarquée. Je vérifie que la diarrhée n’a pas souillé les beaux poils de Po-Paï.
Fort heureusement, ce n’est pas le cas sinon j’aurais été obligé de le laisser
dans la voiture à cause des odeurs. Et comme, de toute façon, je ne l’aurais pas
laissé seul dans la voiture, l’interview n’aurait pas eu lieu.
Allez ! Haut les cœurs ! On y va !
S’ils nous refoulent, je comprendrai.
Nous avons été accueillis fort
aimablement et introduits presque immédiatement dans les studios. Devant la
caméra, j’ai fait coucher Po-Paï à mes pieds. Il fait chaud dans ces locaux avec
tous ces éclairages braqués sur nous et le chow-chow halète. Il salive
énormément, ses intestins doivent le taquiner. Mieux vaut le garder attaché
sinon il va mettre de la bave partout.
Pendant l’interview, j’ai tenu Po-Paï
en laisse. Pendant que le journaliste me posait ses questions, je n’ai pu
m’empêcher de sourire en pensant à autre chose. En effet, j’ai bien remarqué que
Po-Paï aspergeait le sol de salive. C’est incommodant car tout le sol est
maculé. Cependant, je me suis dit que je m’en tire à bon compte car il aurait pu
chier au beau milieu des studios.
C’est ainsi que vous pouvez passer à
la télé tout en parlant d’un sujet et en pensant à autre chose. Pour cette
fois-là, je n’ai pas cessé de m’inquiéter à propos des coliques de mon
chow-chow. Fort heureusement, la caméra n’est pas encore capable de filmer les
pensées. Au moment de la projection, personne ne pourra deviner qu’en présentant
mes beaux livres si tendres, si drôles, j’avais en tête une énorme bouse de
vache visqueuse. J’ai quand même une curieuse manière de me faire de la pub…
Ah !, j’ai failli oublier… Juste avant
le tournage, le cameraman a demandé le silence dans le studio et est sorti du
plateau pour aller dans une autre pièce faire les réglages de son. Je le vois
revenir quelques secondes plus tard et demander :
« Qui est-ce qui fait arrha ! arrha !
arrha ? »
Je me penche affectueusement vers
Po-Paï, le caresse et rétorque :
« C’est notre petite vedette qui
reprend sa respiration. »
J’ai failli rajouter immédiatement :
« Faites-le asseoir à table avec nous,
devant les micros, et il n’y aura plus de bruit parasite car les téléspectateurs
verront bien pourquoi ces soupirs. »
J’ai préféré me taire pour ne pas trop
les emmerder. Po-Paï l’a déjà fait copieusement avec leur pelouse, il n’a pas
encore fait dans leurs studios, restons-en là.
Il tourne quand même avec les
halètements de Po-Paï en fond sonore. Ils décident ensuite de faire quelques
prises de vue de Po-Paï à l’extérieur. Je suis d’accord, pourvu que l’on ne
retourne pas à l’endroit exact où la diarrhée de Po-Paï s’est manifestée. A
l’extérieur, je serai bien plus décontracté.
On nous confie à une gentille
demoiselle cameraman (que l’on devrait en toute rigueur appeler « cameragirl »).
En sortant, Po-Paï voit un chien. J’ai bien fait de le garder attaché. Ils
enferment l’autre chien dans un court de tennis grillagé situé à proximité. Nous
nous éloignons d’une cinquantaine de mètres à l’intérieur de ce magnifique parc
que possède « France 3 ». Pour que Po-Paï soit tout à son avantage à l’écran, je
lui enlève complètement le harnais.
A peine détaché, Po-Paï s’isole pour
aller déféquer : la diarrhée continue à l’incommoder. Je regarde la cameraman en
écartant les bras d’un air résigné. « Il faut que ça se fasse » fait-elle
remarquer bien gentiment. Je bénis les cieux qu’elle n’ait pas eu envie de le
filmer pendant qu’il se purgeait. Au retour de Po-Paï, je vérifie discrètement
qu’il n’a pas le derrière barbouillé. Lui d’habitude si propre, il faut
justement qu’aujourd’hui il me cause des soucis.
La fille commence à filmer. Le chien
enfermé dans le court de tennis aboie. Po-Paï détale. Séance de tournage
interrompue !
Je me ridiculise avec des « ici ! »,
des « assis ! », des « Po-Paï ! ». En vain. Ces gens de la télé ne peuvent
vraiment pas travailler tranquilles aujourd’hui.
A cet instant précis, j’ai eu une
pensée pour toi, Catherine. Toi et ton saucisson. Sans être spécialement médium,
tu as deviné où j’avais envie de le fourrer ton maudit saucisson responsable de
tous nos maux ?
Je récupère Po-Paï en gardant le
sourire ; devant une caméra, il le faut. La fille attend patiemment. Nous sommes
tombés sur une bien aimable personne. Elle réussit à faire les prises de vue
qu’elle souhaitait. Pour les séances de pose, il me reste à apprendre encore des
tas de choses à Po-Paï. On verra plus tard.
En repartant vers les bureaux, je vois
à nouveau notre chow-chow diarrhéique s’isoler. Pour la troisième fois depuis
que nous sommes arrivés, un reflux de ventre asperge la pelouse du parc de
« France 3 ». Avec tous ces engrais, le terrain sera bien propice à la pousse de
la végétation.
Nous sommes retournés au laboratoire
pour visualiser le film. Nous sommes allés à nouveau voir le journaliste vedette
pour un point de détail. Il fallait également faire un plan de l’ensemble des 5
tomes du livre. Ce matin-là, nous avons parcouru pendant deux heures tous les
bureaux de la station de télévision. J'ai laissé Po-Paï en liberté car tout le
monde voulait le voir, le toucher, l’admirer. Il a fallu fournir des
explications quant à la race, quant à son âge, quant à ses origines, quant aux
livres sur Po-Paï, tout ! Po-Paï a fait une prestation éblouissante. Po-Paï a eu
sa consécration de vedette. Po-Paï a fait plaisir à son public.
Si mes livres n’obtiennent que la
moitié du succès qu’a obtenu Po-Paï ce matin-là, mon avenir est assuré.
De ce passage à la télévision, je ne
retiendrai qu’une chose : j’ai regardé moins souvent l’œil de la caméra que
l’anus de Po-Paï.


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