Po-Paï et le
temps
Qu’est-ce que le temps passe vite ! Je n’arrive pas à
croire qu’un jour je serai vieux aussi. Je souffrirai d’arthrose, je marcherai
avec une canne, je porterai des lunettes, je poserai la main sur mes reins
douloureux et je parlerai avec une voix chevrotante comme ça : « Mè-è-è ! Mè-è-è ! »
J’aurai l’air d’un vieux mouton même pas bon pour l’abattoir :

Vous avez vu cette allure ? Même ma queue en panache
baisse pavillon. Que c’est donc triste la vieillesse. Brr !, vous me donnez
froid dans le dos.
Vous allez finir par me rendre triste avec vos
évocations sinistres. Vous n’avez rien de plus gai ? Venez avec moi, je vais
vous montrer comment il faut parler du temps qui passe.
Je viens d’avoir deux ans et je vous ai parlé des
deux premiers mois de ma vie. Je garde en mémoire le moindre des souvenirs et ce
sera ainsi toujours. Il y a eu ce jour béni où j’ai vu Catherine pour la
première fois. Je gambadais tout seul…

Et puis hop !, j’étais dans ses bras :

Le lendemain matin, à son réveil, je suis venu lui
dire bonjour :

Ensuite, j’ai été l’objet de toutes les attentions.
François m’a photographié dans toutes les positions :

J’ai fait connaissance avec un nonos, je ne savais
pas ce que c’était. Au début, j’ai un peu hésité :

Et puis après, j’ai attaqué de bon appétit :

Durant le mois de mai 99, ils ont pris des dizaines
et des dizaines de photos de moi. Pourquoi faites-vous cela les humains ? Vous
avez peur d’oublier ? Moi je n’ai pas besoin de photos, tout est enregistré dans
mon cœur.
Pour faire plaisir à François, j’ai regardé
l’objectif afin que la pose soit réussie :

Quand je ne regardais pas, il me photographiait quand
même :

Ils ont toujours aimé mes fesses dodues, et
aujourd’hui encore.
Moi, je restais fidèle à moi-même : tout le temps
rigolo et attendrissant :



Vers la fin du mois de mai, j’arrivais presque aux
genoux de Catherine, tellement j’avais grandi :

Oui, j’ai oublié de préciser que Catherine était
accroupie.
En juin et juillet 99, j’ai continué ma croissance en
faisant bien attention de donner du temps au temps : doucement le matin, pas
trop vite l’après-midi et calmement le soir :

Doucement…

Pas trop vite…

Calmement…
En août 99, même ma physionomie se transforme, je
regarde la vie avec beaucoup plus de sérénité :

Enfin…, quand je dis que je « regarde » avec
sérénité, c’est une façon de parler. Disons que c’est l’époque où je commence à
voir au travers des paupières fermées.
Sinon, j’ai les pattes qui s’étirent et mon duvet qui
disparaît peu à peu. Je n’ai plus vraiment l’allure de la petite boule de poils
que Catherine a tenue le premier jour dans ses bras. Elle en était d’ailleurs
toute dépitée. C’est l’époque aussi où Catherine disait de moi qu’on m’a
« zoomé ».

Non, décidément, que ce soit en position assise ou
debout, je n’ai plus la silhouette d’un petit bébé bien boudiné et bien
duveteux. Le dessinateur s’en rend compte aussi puisqu’il ne sait pas s’il faut
continuer à faire des petits traits pour représenter ma fourrure ou s’il fait
faire des zigzags.
Ça :
au
lieu de ça : 
C’est une des dernières fois aussi où François m’a
pris dans ses bras comme un nourrisson :

Regardez-moi cela ! Mon petit maître a voulu montrer
qu’il a des gros bras mais il doit déjà faire un joli petit effort pour me
porter en se tenant debout. Regardez !, j’ai la tête presque aussi grosse que
lui et je n’ai pas encore six mois. Et au niveau anatomique, remarquez également
que ma virilité commence à être voyante : avez-vous remarqué ce zizi bien pointu
que j’exhibe ? C’est de la faute à François, je n’ai plus l’âge pour être
pouponné dans les bras d’un papa ou d’une maman.
D’ailleurs, un mois plus tard,
François a définitivement renoncé à me porter. Regardez :

Il a préféré s’asseoir sur le canapé d’abord. Il
essaie de m’enlacer avec ses grands bras mais je déborde de partout. Je prends
tellement de place que l’on ne voit plus son visage.
Octobre 99, je pourrais chasser si je le voulais et
me débrouiller seul :

J’ai déjà l’allure du carnassier, vous ne trouvez
pas ? Je serais capable de me lancer sur une proie bien plus grande que moi. En
ce temps-là, lorsque nous étions en pleine nature, je commençais déjà à
débusquer les sangliers. Je n’ai rien dit à François parce qu’il n’aurait pas
apprécié mais j’ai dû beaucoup me retenir pour ne pas leur courir après.
Et je grandis, et je grandis, et je grandis !
Je déborde de partout, vous ai-je dit. Dès l’instant
où l’on a voulu me loger quelque part, cet endroit est vite devenu trop petit.
Dans un cadre photo par exemple :

Vous reveniez quelques jours après et crac ! mon
derrière avait perforé une paroi du cadre :

Moi, pour calmer les choses, j’adoptais souvent la
position de la sagesse et de la méditation, celle du sphinx :

Deux mois plus tard encore, à Noël 99, mes maîtres
contemplaient avec ravissement mon élégante silhouette d’adolescent racé :

C’est à cette période que j’ai connu la neige pour la
première fois. Marrante cette poudre blanche et fraîche dans laquelle je prends
tant de plaisir à me vautrer. On dirait que j’ai fait cela toute ma vie. En
plus, cette neige ne colle pas du tout à mes poils, c’est bien pratique ! Voyez
un peu à quoi je ressemble lorsque j’ai bien batifolé dans la poudreuse :

Oui, on ne voit pas grand chose… C’est-à-dire, ce
jour-là, il y avait une grosse tempête de neige et François n’a pas su régler
correctement son objectif d’appareil photo pour la netteté. C’est tout blanc
mais examinez bien, on me distingue un tout petit peu, là !, derrière les
flocons…
Bon !, passons.
Je ne sais pas pourquoi, il y a eu ensuite une
interruption de quatre mois pour la prise des photos. Ils ont sans doute été
écœurés de me voir pousser si vite. C’est à cette époque aussi que François
s’est mis à écrire sur moi, écrire et écrire ! Il a trouvé plein de choses à
raconter car j’étais pour lui une source d’inspiration inépuisable. Pourtant,
moi, je ne cherchais à rien faire d’extraordinaire. J’étais Po-Paï le chow-chow,
tout simplement.
Quelle belle époque ! Que de beaux souvenirs ! Que le
temps a passé vite et bien ! J’en parle au passé et pourtant, j’ai toujours
l’impression d’être au présent et je sais que l’avenir me réserve encore de
merveilleux moments.
En mai 2000, mes jolies fesses rebondies se sont
considérablement aplaties :

Juin 2000, rien à dire de particulier sauf que je
trouve que le soleil de la Côte d’Azur commence à taper un peu fort :

En juillet et août, on se planque :

à l’ombre…
Ou au frais dans l’appartement :

Nous arrivons à janvier 2001. On me nourrit bien,
donc ma croissance est exceptionnelle :

Là, vous exagérez un peu. J’aurais pu effectivement
devenir un chow-chow haut sur pattes comme celui-ci si j’avais continué à
m’alimenter uniquement de croquettes de la RC. Fort heureusement, j’ai varié ma
nourriture pour ne pas présenter de difformité particulière. Sur ce dessin, je
ressemble plus à un diplodocus qu’à un chow-chow. Je préfère ne pas imaginer à
quoi je ressemblerais si François m’avait dessiné entièrement.
Oui ? Vous voulez voir ?

Ça, c’est un chow-chow qui a été
exposé aux radiations d’une bombe atomique. Ou qui a abusé de croquettes de la
RC, ce qui revient au même.
J’ai grandi normalement, rassurez-vous. Je suis
aujourd’hui un robuste chow-chow en pleine santé. Nous sommes en mars 2001, je
pèse 33 kg et François n’arrive plus à me porter dans ses bras comme avant. Il
se contente de me mettre sagement à côté de lui sur le canapé. J’ai aujourd’hui
une tête deux fois plus grosse que la sienne :

Sagement assis l’un à côté de l’autre, nous écoutons
nos cœurs battre à l’unisson.
Il me regarde…
Je le regarde à mon tour…
Nous nous regardons…
Et le temps passe paisiblement. Ce temps que nous
voudrions voir figé à jamais…

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