Tome 11
Pourquoi j’ai peint des chows-chows

Nous sommes le 30 avril 2003. Cette affaire de chow-chow commence à
prendre une tournure monumentale.
Je récapitule.
A l’instant, je viens de terminer de peindre la toile numéro 63.
Elles sont toutes consacrées à Po-Paï. Depuis un mois, j’ai pris la décision de
regrouper toutes ces toiles dans une galerie et de rechercher un local. Pour
cela, il me fallait un minimum de toiles encadrées. J’ai tablé sur une centaine.
Il faut un bon stock pour bien faire tourner un commerce et j’aurai ainsi plus
de chances d’avoir un fonds de roulement important ce qui influencera
favorablement le banquier et ce qui permettra…
Non, stop ! Lorsque j’ai démarré cette affaire de chow-chow, j’ai
pensé à tout sauf à l’argent. Ce qui a motivé tous mes faits et gestes, c’est la
sentimentalité, essentiellement la sentimentalité. Stoppons donc ces
considérations bassement mercantiles qui n’ont pas leur place ici.
Je disais donc que j’ai peint à ce jour 63 toiles sur Po-Paï et ce
n’est pas fini, j’ai encore des idées en tête. Si j’ai peint, c’est parce que
j’ai écrit. Il faut une logique à cette histoire, pour moi c’est celle-là :
écriture d’abord, peinture ensuite.
Lorsque j’ai consacré le premier livre à Po-Paï, j’ai voulu une
belle page de couverture et j’ai utilisé la photo d’une scène réelle. Par la
suite, je me suis très vite aperçu que les photos de peintures ressortaient
beaucoup mieux chez l’imprimeur. J’ai donc peint une scène réelle et je l’ai
prise en photo. Comme j’ai écrit dix tomes de quatre cents pages chacun sur
Po-Paï, vous comprenez fort bien qu’il me fallait peindre au moins dix toiles.
Logique !
Il était tout à fait logique aussi de continuer à peindre puisque ce
ne sont pas les sources d’inspiration qui me manquaient. Par contre, je me suis
arrêté d’écrire et ces quatre mille pages consacrées à un chow-chow ont fait de
moi un recordman du monde homologué par le « Livre Guinness des Records ».
Voilà plusieurs mois que je me force à ne plus écrire. Oui,
je me force ! Ce n’est pas parce que je suis en panne de tonus cérébral, c’est
parce que je ne veux plus. J’avoue que de temps en temps j’ai pris une note par
ci, par là au cas où un jour, éventuellement, peut-être, par hasard,
j’entamerais un tome 11.
J’ai résisté pendant plusieurs mois…, jusqu’à ce matin. Ce matin,
des vannes se sont ouvertes et le flot déferle à nouveau. Cela a démarré encore
de façon anodine.
Je vous raconte ?
Parce que je cause, je cause mais je m’aperçois que je n’ai toujours
pas expliqué le pourquoi du comment de cet ouvrage intitulé « Pourquoi j’ai
peint des chows-chows ».
Pour exposer mes peintures, en attendant de trouver une salle à
titre définitif, j’ai loué pendant une semaine un local dans un magnifique
village perché de l’arrière-pays niçois et j’ai nommé Gourdon. L’exposition de
peintures se déroulera en septembre et j’ai donc le temps de préparer ma
plaquette de présentation. Pour ce faire, en digne écrivain que je suis, j’ai
préparé un texte très court intitulé « Pourquoi j’ai peint des chows-chows ».
C’est le numéro 1 de la série qui suit.
Je pensais sincèrement que ce texte résumait à peu près tout ce qui
pouvait être dit sur le sujet. Erreur ! Grosse erreur ! J’ai tapé ce texte le 27
avril dernier. Tout en peignant, le 28, j’y pensais encore. Hier matin, en
baladant Po-Paï, j’y pensais toujours. Tout en conduisant l’automobile, j’ai
commencé à prendre des notes. Il y en a qui sont sanctionnés pour avoir
téléphoné en pilotant leur véhicule mais heureusement, moi je ne risque rien car
la contravention n’existe pas encore pour ceux qui conduisent en gribouillant
des notes sur un bout de papier étalé sur un genou calé tant bien que mal sous
un volant.
Quand je suis revenu de balade avec Po-Paï, mon petit papier était
bourré de phrases écrites dans tous les sens.
J’ai tout mis au propre.
A tout hasard, je garde tous mes brouillons au cas où ils seraient
un jour aussi recherchés que les esquisses faites par Picasso sur les nappes en
papier des restaurants.
François
Nice, le 30 avril 2003
Pour l’expliquer, vous pouvez par exemple faire appel au grand
maître de tous les psychanalystes : Sigmund Freud. Vous pouvez penser par
exemple que mes peintures sont le résultat de troubles névrotiques consécutifs à
des désirs oubliés en rapport avec le complexe d’Œdipe et inconciliables avec
les autres désirs ou la morale. Ces désirs refoulés continuent à exister dans
mon inconscient mais ne peuvent faire irruption dans la conscience qu’à
condition d’être défigurés. Mes chows-chows sont donc la défiguration de désirs
refoulés et mes tableaux ne représentent en fin de compte qu’une bête
exorcisation. Si j’avais peint une femme avec les cuisses écartées, mon public
aurait trop vite compris où se trouvent mes troubles névrotiques. Avec Po-Paï le
chow-chow, j’ai là un magnifique paravent.
Notre cher Sigmund oppose pulsion de vie et pulsion de mort. Il a
proposé un nouveau modèle de l’appareil psychique : le moi, le ça et le surmoi.
Vous ne vous souvenez plus de ce que cela signifie ? Il suffit d’aller voir dans
un dictionnaire banal et vous trouverez les définitions de ces termes que les
psychanalystes du monde entier connaissent par cœur :
1
– moi : instance de l’appareil psychique permettant une défense de l’individu
contre la réalité et les pulsions.
2
– ça : réservoir des pulsions et du refoulé (Attention !, car le contenu du ça
est inconscient mais le ça ne représente pas tout l’inconscient.)
3
– surmoi : formation inconsciente qui se constitue à partir du moi par
identification de l’enfant au parent représentant l’autorité. Elle joue le rôle
du juge vis-à-vis du moi ; du conflit éventuel entre moi et surmoi naissent les
sentiments inconscients de culpabilité.
Mon chow-chow serait donc le résultat d’un conflit, de troubles
névrotiques, de pulsions sexuelles refoulées, de tentative de mort avortée ?
Pour expliquer la peinture en général, faut-il donc passer par des
explications migraineuses ?
Pourquoi ne pas voir les choses de façon plus simple : « c’est beau
et ça me plaît » ?
Pour expliquer pourquoi j’ai peint des chows-chows, vous pouvez donc
aussi vous dire : « C’est beau et il l’a peint ! »
Tout a commencé en voiture…
Tout a commencé lorsque j’ai emmené Po-Paï en voiture automobile.
Arrêtés aux feux rouges des carrefours, lorsque j’ai vu les
passagers des voitures – des hommes ! – regarder avec attendrissement Po-Paï le
chow-chow assis sur la banquette derrière moi, je me suis dit : « Ils ont le
même regard attendri que lorsqu’ils contemplent les jolies jambes d’une
adolescente qui sera vraisemblablement un jour une femme superbe ».
Habituellement, lorsque je me promène dans la rue en compagnie de
Po-Paï, les hommes ne regardent pas notre chow-chow de cette façon. Ce sont les
femmes qui s’arrêtent le plus souvent pour s’exclamer : « Mais qu’est-ce qu’il
est beau ! ». Même si l’espèce masculine est attendrie devant un spectacle
charmant, elle ne le formulera pas spontanément parce que ce n’est pas de bon
ton, parce qu’il faut préserver l’esprit macho et parce que c’est comme ça et ne
cherchons pas à comprendre davantage.
Il faut donc qu’ils soient arrêtés à un feu rouge et bien protégés
dans leur carlingue automobile pour dévoiler leur sentimentalité. Tapis derrière
mon volant, je vois bien leurs grands yeux d’enfants s’écarquiller lorsqu’ils
aperçoivent Po-Paï. J’ai bien vu ce sourire angélique qui illumine votre visage.
J’ai bien vu aussi lorsque vous donnez un coup de coude à votre voisin qui n’a
pas encore vu pour lui signifier : « Regarde un peu là dans cette voiture !
Quelle frimousse ! ».
Ils en oublient de gratter dans leur nez, dis donc ! Parce que c’est
ce que vous faites habituellement, n’est-ce pas : vous trifouiller l’intérieur
du nez ? Bien sûr, c’est ce que vous faites habituellement : retirer les crottes
de votre nez pour calmer votre impatience en attendant nerveusement que le feu
vert apparaisse.
Voilà donc entre autres, pourquoi j’ai peint des chows-chows : pour
éviter que les hommes se nettoient l’intérieur du nez avec l’index en public. Si
vous venez un jour dans ma galerie de peintures, je vous mettrai dans une main
une coupe de champagne et un petit four dans l’autre main afin que je sois bien
sûr que vous ne soyez pas tentés de faire votre curetage nasal.
Parce que les pinceaux que j’ai achetés perdaient leurs poils et que
c’était une manière de les utiliser intelligemment.
Puisque vous savez que j’ai écrit dix livres de quatre cents pages
chacun sur Po-Paï le chow-chow et que j’ai commencé à peindre pour avoir de
belles pages de couvertures, vous pourriez dire à mon sujet : « Il raconte ce
qu’il peint et il peint ce qu’il a écrit. C’est l’histoire du chien qui se mord
la queue ».
Quand Po-Paï se mord la queue, c’est parce que quelque chose le
démange. Une tique par exemple.
En aurais-je ?
J’ai bien des tics mais pas de tiques.
Je peins donc pour combattre mes tics.
Fin des historiettes
Et ainsi de suite ! Pour le sommaire, je vois que François ne s’est pas cassé la
tête : il n’a mis que des numéros. Toutes les historiettes ont le même titre :
« Pourquoi j’ai peint des chows-chows » et elles sont numérotées de 1 à 383.
Sacré numéro aussi, ce François !
Ce bouquin est, bien sûr, truffé d’images. Elles sont toutes en noir et blanc
parce François n’a pas encore assez d’argent pour faire imprimer ses livres en
couleur. Pour vous faire une idée de ce qui est raconté dans le livre, voici
toutes ces illustrations :






 























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vous de deviner quels sont les commentaires qui y ont été apportés. Ils sont
tous rigolos, ça, je peux vous l’assurer, foi de Po-Paï ! Je trouve que j’en
fais déjà beaucoup et je ne vais pas tout vous dévoiler quand même. Sinon, il
n’y a plus qu’à mettre carrément tout le livre en ligne. Si j’étais sûr que vous
le liriez tous, je serais peut-être tenté de le faire.
Il y a autre chose que je puis vous assurer avec beaucoup d’aplomb : si vous
êtes nul en peinture, après la lecture de ce tome 11, vous ne le serez plus du
tout.
Bon !, passons au tome 12. Appuyez sur le petit bouton, nous aurons ainsi
l’impression que tout est plus aéré.

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